
Il y a un énorme marketing autour de l’expatriation, du voyage et de toute cette vie ailleurs. Il suffit de voir les comptes Instagram de grands voyageurs, ces vidéos youtube filmées à coup de GoPro. Images parfaites et musiques percutantes. Ces formations vendues par des gens qui vous demandent si, vous aussi, vous voulez que la plage soit votre bureau. Partir vivre ailleurs fait de vous quelqu’un d’ouvert, de motivé et de curieux. Vous devez être heureux parce que vous avez la chance de vivre ailleurs. Mais pourquoi on ne parle jamais des mauvais côtés de l’expatriation ?
Mon amie Ondine se marie. Je l’aime beaucoup, Ondine. Je la connais depuis dix ans maintenant. Elle se marie en juin 2019, elle me l’a annoncée par téléphone et, au passage, elle m’a proposée d’être sa demoiselle d’honneur. J’ai évidemment accepté et ensuite j’ai pleuré dans mon lit au Koweït sans pouvoir la féliciter en la prenant dans mes bras. J’ai du attendre des semaines avant de voir sa bague et son visage rayonnant.
Et ensuite, Ondine a commencé les essayages de sa robe sans moi, et les essayages de chaussures sans moi. Je ne peux pas aider aux préparatifs. Je ne peux que la rassurer à coup de téléphones ou de messages vocaux sur Messenger.
Ondine travaille beaucoup et a une vie de famille. Quand je suis revenue pour l’été, elle était en vacances mais on a réussi à s’organiser pour des essayages de robe. J’étais présente, j’ai pleuré quand je l’ai vu dans une des robes. Mais je n’ai pas pu retourner avec elle pour vérifier que cette robe était la bonne. Et j’ai su quelle robe elle avait choisi quand elle m’a envoyé la photo sur Messenger. Et des petites histoires comme ça, j’en ai des centaines.

Être au courant de tout, ne participer à rien.
La première fois que j’ai réalisé ça, c’était pour l’anniversaire de mon frère. Il allait fêter ses trente ans. Ma mère, par téléphone, m’explique qu’elle lui organise une surprise. Et elle me dit qu’elle va m’appeler pour être présente via Skype.
Je raccroche le téléphone et je pleure. Pourquoi j’ai choisi, égoïstement, de partir travailler loin ? Je vais tout louper. Ma mère est excitée par l’anniversaire qu’elle organise, elle a invité untel ou unetelle à venir. Et plus elle fait la liste, et plus je réalise qu’il ne manque que moi.
En tant qu’expatrié, on manque tout. Et personne n’en parle, personne ne vous en veut vraiment mais… au fond, vous êtes coupable d’un choix bien égoïste : celui d’être parti. Pour l’anniversaire de mon frère, j’ai décidé de prendre un avion. Je suis allée en France pour deux jours. J’ai passé plus de temps dans l’avion qu’à Paris. Je me sentais coupable d’être loin.
Si je n’étais pas venue, on m’aurait raconté l’événement et j’aurais entendu tu aurais tellement dû être là ! Il ne manquait que toi, Elisabeth !
C’est pareil pour les décès. Il faut choisir : quels enterrements sont importants, lesquels le sont moins ? Il faut hiérarchiser des choses qui ne doivent pas l’être. Quels évènement peut-on louper ?
Et pour tous ceux qu’on loupe, il faut vivre avec cette culpabilité. Ma nièce est née en février, mon frère m’appelle pour m’annoncer que ça y est, son amoureuse va accoucher, il va être papa. Je suis en classe, je sors pour le féliciter, je pleure. Je pleure parce que je suis tata et je pleure parce que, à cause de mon choix, je ne verrais jamais ma nièce comme un nourrisson.
La culpabilité de l’absent
L’expatrié n’est jamais présent. Il loupe tous les évènements. En réalité, c’est pire encore, parce qu’il faut hiérarchiser et choisir lesquels on peut rater.
Si je reprends l’exemple de la naissance de ma nièce. Elle nait début février. Si j’avais été en France, je serai allée la voir le plus tôt possible. Là, je me demande si c’est important pour moi de la voir si petite. Est-ce que important pour mon frère que je la vois si petite ? Est-ce que c’est important pour elle que je la vois si petite ?
Évidemment que c’est important pour mon frère. Ça l’est aussi pour moi, mais ce qui me pousse à ne pas prendre de billet d’avion pour fin février, c’est que ce n’est pas important pour elle. Elle ne se souviendra pas. Ce mois ci, je passe mes vacances de février en Thaïlande avec mon amoureux. Mais je n’y suis pas vraiment. Je culpabilise de profiter de ma vie, plutôt que d’être proche de ma famille, en France.
Je me sens coupable quotidiennement parce que je fais passer ma vie en premier. L’expatrié est égoïste à partir du moment où il signe son contrat vers ailleurs.
Et on vit avec cette culpabilité latente. Quotidiennement, la culpabilité est là. On apprend des maladies par téléphone et on ne peut rien faire. Même être présent est impossible. On apprend des grossesses par téléphone, des mariages, des enterrements. Et la première chose que l’expatrié fait, c’est de hiérarchiser ces évènements.

Être loin de ses racines.
Lors des attentats à Paris, j’étais déjà au Koweït. Seule. Coupable d’avoir quitté mon pays. Coupable de ne pas pouvoir soutenir mes amis. Coupable de ne pas pouvoir soutenir mon pays. Je me sentais coupable de ne pas pouvoir mettre des fleurs au Bataclan. Je pleurais la mort d’innocents et je pleurais ma culpabilité.
D’un coup, on ne fait plus parti d’une unité. Quand on s’expatrie, dès le premier jour, on est un electron libre. Et il faut faire avec ce choix. Car l’expatriation est un choix. C’est à dire que, consciemment, l’expatrié choisir de vivre avec cette culpabilité. Et ce sentiment d’être égoïste.
L’expatriation, c’est vivre quotidiennement en se posant la question de rester ou partir. Ce n’est pas uniquement la vie de rêve, c’est se demander ce qu’on fait là et pourquoi on est parti. C’est aussi se demander si ce n’est pas le moment, maintenant, de rentrer. Quand on s’expatrie, on se reveille régulièrement en se demandant si on est toujours sur le bon chemin.
Même si tout va bien, même si le quotidien se passe bien, quand on est loin de chez soi, on est amené à manquer de quelque chose. L’expatrié évolue, grandit, loin des siens, loin des changements. Il ne partage pas non plus ses changements. Je crois que l’expatrié doit aussi vivre avec la culpabilité de se sentir seul.
L’expatriation : une vie en solitaire que l’on choisit.
La solitude est un mal qui n’est pas réservé à l’expatrié. Mais quand on s’expatrie, on choisit de se diriger vers cette solitude. Comment se plaindre de quelque chose qu’on a choisit ?
Quand on s’expatrie, on signe aussi pour ne pas pouvoir parler de nos souffrances. Parce que cette situation, on l’a choisit en pleine conscience. C’est difficile d’accepter ça. C’est difficile parce que notre entourage ne le comprend pas. Nous vivons chaque évènement très différemment.
Un décès est difficile pour tout le monde, mais l’expatrié ne peut pas toujours dire au revoir. Souvent, en tant qu’expatrié, on voit les gens vivants et ensuite on les voit à leur enterrement. On ne les voit pas malade ou vieillir. Et parfois même, on n’a pas pu aller à l’enterrement, donc elles ne sont juste plus là.
Je sais que je vis les choses un peu comme si elles n’existaient pas. Les gens à qui je n’ai pas pu dire au revoir ne sont pas vraiment décédées pour moi, elles sont juste parties. Je ne peux pas faire mes deuils correctement.
Et c’est compliqué parce que je ne peux pas m’en plaindre. C’est une vie que j’ai choisie, une vie que j’ai acceptée. Au même titre que si je me marie au Koweït, je me marierais sûrement seule. Si j’ai un enfant ici, j’accoucherai sans ma famille.
Est-ce que j’ai le droit d’en être triste ? Evidement, je suis un être humain. Est-ce que j’ai le droit de m’en plaindre ? Je ne suis pas sûre, car je ne peux pas mettre mon choix sur le dos des autres. Et elle est là, je crois, la culpabilité de l’expatrié. Finalement, nous sommes les seuls responsables de notre propre souffrance.
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